La chorégraphe franco-sénégalaise, Germaine Acogny, née en 1944 à Porto Novo, au Bénin, est incontestablement le symbole de la danse africaine contemporaine. La fondatrice de l’École des Sables de Toubab Dialaw dans la région de Dakar, lauréate en juillet dernier du «Lion d’Or» de la Biennale de Venise, est une figure emblématique de la culture africaine.
Doyenne de la danse africaine contemporaine, Germaine Acogny, parle de moins en moins à la presse. Elle a tout dit sur son art ou presque. Sa vie. Derrière sa réussite professionnelle se cache un caractère bien trempé. Une rigueur à toute épreuve qui a permis de vaincre le doute pour labourer les champs de l’impossible et entretenir toujours la flamme de l’espoir. Son crâne parfaitement rasé est signe de force incontestable, de fierté et de la beauté africaine. Germaine Acogny a dansé partout pour magnifier la culture du continent qui l’a vu naître, porter un message venu d’ailleurs en vue d’apaiser une humanité en proie aux bêtises de la modernité. Éprise du poème «Femme noire» de Léopold Sédar Senghor, elle en fait une chorégraphie qu’elle présente dès 1972, au public sénégalais, dans le cadre somptueux du Théâtre national Daniel Sorano. Ce fut alors le signal fort d’une carrière atypique et exceptionnelle.
Dotée d’un sens aigu d’apathie et de partage, l’ancienne diplômée de l’Ecole Simon Siegel de Paris, mit très jeune sa passion au service des autres. Enseignante au Lycée Kennedy de Dakar, elle créa, dès 1968, son premier cours de danse. Dans un contexte de promotion de la culture sous le régime du Président Senghor, elle eut avec ce dernier d’excellents rapports. Dans l’œuvre de la journaliste Laure Malécot : « Germaine Acogny, danser l’humanité » publiée aux Éditions Vives voix, la sociologue et militante féministe, Marie-Angélique Savané, raconte que la danseuse franco-sénégalaise a eu «la chance de rencontrer Senghor, qui était devenu son mécène et avait compris que Germaine est porteuse d’un message qui dépassait le cadre d’une femme qui se cherche ». Selon elle, Acogny pouvait « promouvoir un cosmopolitisme, une universalité, mais surtout, une modernité de la danse africaine, qu’on ne connaissait pas encore ».
L’École des Sables, une lueur d’espoir
Portée par sa passion, la chorégraphe n’a jamais cessé de créer. C’est dans son âme. Ses spectacles portant sur les cultures africaines, les faits d’actualité et de société, sont, aujourd’hui, la mémoire des danses du continent. « Coumba, amoul ndeye », « Yewa, eau sublime », « Mon élue noire », « Les écailles de la mémoire », « Fagaal », « Songook Yaakaar » …autant d’œuvres qui sont le symbole d’un engagement sans faille au profit de l’humanité, d’un pays et de l’Afrique.
Malgré le poids de l’âge, 77 ans, Germaine Acogny trouve encore la force de danser et de faire passer l’espoir et l’expérience aux jeunes. Son établissement, l’École des Sables de Toubab Dialaw, fondée en 1998 dans la région de Dakar, continue d’être le symbole fort de cette humanité qui résume le parcours de cette grande dame. Pour elle, il s’agit d’un lieu d’espoir et de lumière pour les danseuses et danseurs de toute l’Afrique. C’est d’ailleurs pour couronner toute sa carrière que celle qui a assuré la direction artistique de Mudra Afrique a reçu, le 23 juillet dernier, «Le Lion d’oOr», prestigieuse distinction de la Biennale de la danse de Venise.
« »Le Lion d’Or » vient couronner l’œuvre de toute ma vie, consacrée à la danse, à la formation, à la chorégraphie et au développement d’une danse africaine contemporaine. Cette œuvre, je l’ai commencée dans la cour de ma petite maison à la rue Raffenel, à Dakar, il y a plus de 50 ans. Et elle se poursuit aujourd’hui à l’École des Sables, qui est le fruit d’un parcours riche en expériences, comme Mudra Afrique, créé par le Président Léopold Sédar Senghor et Maurice Béjart et dont j’ai été la directrice pendant sa brève existence ; ou le premier centre de danse que j’ai créé à Fanghoumé, en Casamance, avec l’aide de mon époux Helmut Vogt», soutient-elle au moment de recevoir le Prix.
Un prix, consécration d’une carrière
Toutefois, Germaine Acogny ne compte pas seulement que d’admirateurs. Elle a récemment été victime de critiques, lesquelles l’ont poussée à écrire une tribune pour rappeler le sens de son engagement depuis plusieurs années. «Depuis 1998, notre mission principale est et a toujours été de former les danseurs africains, de leur donner une formation complète par la danse, afin qu’ils puissent vivre de leur Art. Les formations sont prises en charge par les subventions que nous recevons. Elles sont de plus en plus difficiles à instruire et suffisent plus pour garantir le fonctionnement de l’école», avance-t-elle, soulevant la situation de précarité dans laquelle se trouvent les danseuses et danseurs africains. Ces derniers «n’ont pas les moyens de payer leur formation et les importants frais de voyage».
Malgré un prix d’excellence de la chorégraphie doté d’une une somme de 15 000 dollars décerné par la Cedeao en 2019 («seule distinction reçue avec de l’argent en Afrique», selon la fondatrice), l’École des Sables continue de faire l’objet d’un problème de moyens. Mais, révèle Mme Acogny, le Ministre de la Culture et de la Communication a promis d’inscrire une ligne budgétaire au profit de l’établissement, à travers la Direction des Arts. Dans l’espoir de rencontrer le Président Macky Sall pour lui présenter son « Lion d’Or », Germaine Acogny dédie sa dernière distinction au Président Léopold Sédar Senghor et à Maurice Béjart, qui ont été les premiers à avoir cru en elle : « c’est à travers le miroir de leurs yeux que j’ai retrouvé mes racines », celles que son génie a fait aimer au monde.
LeSoleil